Les Éditos de l'AFEF

Alcool et foie : un regain d’intérêt

Par : Louvet Alexandre
Service des maladies de l’appareil digestif - Hôpital Huriez - Rue Polonovski - 59037 Lille cedex

Nombre d’entre nous se sont interrogés sur ce qu’ils allaient devenir avec le décès annoncé du virus de l’hépatite C. Il est vrai qu’il peut être déstabilisant de voir disparaître un de ses meilleurs ennemis et on peut se sentir désœuvré, voire attristé. Que chacun sèche ses larmes, il nous reste du pain sur la planche… Depuis fort longtemps, l’hépatologie a réussi une prouesse scientifique que peu d’autres spécialités médicales ont été en peine d’accomplir : délaisser largement la cause numéro 1 de morbi-mortalité de leur organe favori. Cynisme mis à part, on peut s’interroger sur les raisons de ce désintérêt qui sont bien réelles et en réalité parfaitement compréhensibles : absence de traitement pharmacologique perçu comme nouveau (pas de biothérapie, de médicaments coûteux, de stratégie moléculaire complexe, etc.), observance parfois médiocre de la part des patients, aspect peu valorisant (et peu valorisé) de cette partie de la spécialité…

Même si cela paraît évident, il faut rappeler que la consommation excessive d’alcool est la première cause de mortalité liée au foie et de transplantation hépatique dans les pays occidentaux1. Il existe désormais des recommandations internationales qui permettent aux hépatologues d’adapter la prise en charge de leurs patients consommateurs excessifs d’alcool. L’EASL en 20122 et l’AASLD en 20103 ont ainsi clarifié les standards de prise en charge en termes de mise en évidence de la consommation excessive d’alcool, de diagnostic de la sévérité de la maladie hépatique, de traitement pharmacologique et d’indications de la transplantation hépatique.

Concernant le diagnostic non invasif de la maladie alcoolique du foie, de nombreux articles récents ont permis de valider les marqueurs sériques et l’élastométrie dans notre pratique quotidienne. Bien que les marqueurs sériques ne fassent pas actuellement l’objet d’un remboursement par l’Assurance maladie, ils peuvent être utilisés avec une excellente performance diagnostique pour le diagnostic de la fibrose, notamment avancée4. De même, l’élastométrie5-7 est un outil diagnostique de la fibrose simple, fiable et d’accès facile. Ces avancées dans le diagnostic non invasif de la fibrose sont des éléments cruciaux de la prise en charge des patients consommateurs excessifs. En effet, il paraît irréaliste de proposer un dépistage de la cirrhose à large échelle en se basant sur la biopsie hépatique. La mise à disposition de ces outils non invasifs va donc permettre d’identifier facilement dans les unités d’alcoologie, les CSAPA et les services « non digestifs » les patients candidats à une prise en charge spécialisée par un hépato-gastroentérologue. D’autres outils sont en cours d’évaluation8, souhaitons-leur longue vie.

Il faut également souligner que le regain d’intérêt pour l’étude de la maladie alcoolique du foie concerne aussi la recherche fondamentale et ouvre la voie au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques en se basant sur les mécanismes moléculaires responsables de l’atteinte hépatique liée à l’alcool. La prudence s’impose néanmoins car le métabolisme de l’alcool est très différent chez l’animal (notamment le rongeur) du métabolisme humain et il est donc parfois ardu de transposer les données animales à ce qui est observé chez l’homme, ce d’autant que nous ne disposons actuellement d’aucun modèle fiable de cirrhose alcoolique ou d’hépatite alcoolique. Les travaux de recherche translationnelle basés sur les échantillons humains (sérum, foie, ADN, etc.) sont donc particulièrement utiles et complémentaires de ce qui est réalisé chez l’animal.

La prise en charge pharmacologique de la consommation excessive d’alcool a également connu plusieurs avancées récentes. Nous disposons en effet depuis peu d’une nouvelle molécule, le nalméfène, qui est un antagoniste des récepteurs opiacés µ et δ et un agoniste partiel κ. L’intérêt de cette molécule a été démontré par les études ESENSE9 avec l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché dans la réduction de consommation. Pour l’heure, cette molécule n’a pas été testée chez les patients présentant une cirrhose évoluée mais une étude multicentrique française coordonnée par le CHU d’Amiens va prochainement répondre à cette question. Par ailleurs, des données récentes ont été présentées concernant le baclofène, un agoniste GABA-B dont l’utilisation est décriée en raison de controverses sur son efficacité la dose à utiliser. Actuellement le baclofène fait l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation. Les études françaises ALPADIR et BACLOVILLE ont montré des résultats contrastés (https://sfalcoologie.fr/). Nous sommes en attente de la publication in extenso de ces résultats. D’autres molécules telles que le topiramate et l’oxybate de sodium (ou GHB) ont démontré leur efficacité dans la prise en charge des patients consommateurs excessifs d’alcool10 mais n’ont pour l’heure pas d’autorisation sur le marché en France. Nous pouvons donc nous attendre à un renforcement de l’arsenal thérapeutique disponible pour la prise en charge alcoologique de ces patients et c’est une excellente nouvelle.

De nombreuses avancées ont également été faites dans la transplantation hépatique pour maladie alcoolique du foie. Il y a six ans, les groupes français et belges ont publié une étude pilote proposant la transplantation en procédure accélérée (c’est-à-dire sans attendre de période de sevrage) aux patients atteints d’hépatite alcoolique sévère ne répondant pas au traitement médical11. Cette étude était recommandée par la conférence de consensus sur les indications de la transplantation hépatique qui s’était tenue à Lyon en 200512. Les résultats faisaient état d’une survie excellente à courte terme, qui permettait d’améliorer le pronostic sombre des patients non répondeurs au traitement médical pour le rapprocher de celui des patients répondeurs. Le taux de reprise d’alcool était faible (3 patients sur les 26 transplantés). Bien que controversée, notamment dans les pays anglo-saxons, cette étude a été confirmée depuis par plusieurs équipes, en particulier aux Etats-Unis avec la publication toute récente de deux études provenant des centres de New York13 et de Baltimore14. Dans l’un de ces travaux14, les patients transplantés pour hépatite alcoolique avaient une survie et une incidence de la reprise d’alcool identique à celle des patients transplantés pour cirrhose alcoolique décompensée avec un sevrage de plus de 6 mois. Les centres américains se sont par ailleurs groupés en un consortium dénommé ACCELERATE et ont présenté tout dernièrement15 leurs résultats sur 97 patients transplantés avec une survie excellente de 91% à 3 ans et une incidence de la reprise d’alcool de 27%. L’étude multicentrique franco-belge QuickTrans-HAA, dont les inclusions se sont terminées en juin 2016 avec des résultats attendus pour 2018, devrait donner des éléments complémentaires pour renforcer le rationnel de cette indication très particulière de transplantation.

Concernant le traitement médical de l’hépatite alcoolique sévère, de nouvelles avancées significatives sont également à noter. La controverse sur l’efficacité des corticoïdes semble enfin terminée avec la publication de l’étude STOPAH, large essai multicentrique britannique sur plus de 1000 patients, ayant montré l’absence d’intérêt de la pentoxifylline et ayant confirmé l’efficacité de la prednisolone dans l’amélioration de la survie à court terme16. De nouvelles stratégies moléculaires sont néanmoins attendues car la corticothérapie n’améliore pas la survie à moyen terme, peut-être en partie en raison du risque de reprise de consommation d’alcool, comme récemment démontré par deux travaux indépendants17, 18. Il faut signaler que de nouvelles molécules sont aujourd’hui en cours d’évaluation, avec un plan de développement proche de ce qui a été proposé pour d’autres pathologies comme le carcinome hépatocellulaire ou l’hépatite C, en passant successivement par des études de phase I aux essais de phase III. Plusieurs essais sont donc en cours19 avec des résultats qui sont très attendus.

Les derniers mois écoulés ont donc apporté de nouvelles données dans la prise en charge hépatique des patients présentant une consommation excessive d’alcool. De nombreuses études sont en cours et vont sans nul doute apporter de nouveaux éléments pour modifier le quotidien des hépatologues. A titre d’exemple, l’EASL organise en septembre 2017 une conférence monothématique sur les avancées thérapeutiques et les critères de jugement dans la maladie alcoolique du foie et l’hépatite alcoolique (www.easl.eu). Une telle conférence était quasiment inenvisageable il y a encore peu de temps…

Le futur est donc plein d’optimisme dans le champ de la maladie alcoolique du foie. Une raison supplémentaire pour encourager nos jeunes collègues dans cette voie, comme souligné par le dernier texte collaboratif émanant de plusieurs hépatologues français et coordonné par Georges-Philippe Pageaux20. Dans cette dynamique positive, l’AFEF tiendra bien entendu son rang, notamment en organisant des recommandations de prise en charge en 2018.

Références

  1. Rehm J, Samokhvalov AV, Shield KD. Global burden of alcoholic liver diseases. J Hepatol 2013;59:160-8.
  2. EASL clinical practical guidelines: management of alcoholic liver disease. J Hepatol 2012;57:399-420.
  3. O’Shea RS, Dasarathy S, McCullough AJ. Alcoholic liver disease. Am J Gastroenterol 2010;105:14-32; quiz 33.
  4. Naveau S, Gaude G, Asnacios A, et al. Diagnostic and prognostic values of noninvasive biomarkers of fibrosis in patients with alcoholic liver disease. Hepatology 2009;49:97-105.
  5. Nahon P, Kettaneh A, Tengher-Barna I, et al. Assessment of liver fibrosis using transient elastography in patients with alcoholic liver disease. J Hepatol 2008;49:1062-8.
  6. Nguyen-Khac E, Chatelain D, Tramier B, et al. Assessment of asymptomatic liver fibrosis in alcoholic patients using fibroscan: prospective comparison with seven non-invasive laboratory tests. Aliment Pharmacol Ther 2008;28:1188-98.
  7. Voican CS, Louvet A, Trabut JB, et al. Transient elastography alone and in combination with FibroTest(R) for the diagnosis of hepatic fibrosis in alcoholic liver disease. Liver Int 2017.
  8. Thiele M, Detlefsen S, Sevelsted Moller L, et al. Transient and 2-Dimensional Shear-Wave Elastography Provide Comparable Assessment of Alcoholic Liver Fibrosis and Cirrhosis. Gastroenterology 2016;150:123-33.
  9. Société Française d’Alcoologie. Mésusage de l’alcool: dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et Addictologie 2015;37:5-84.
  10. Addolorato G, Mirijello A, Barrio P, et al. Treatment of alcohol use disorders in patients with alcoholic liver disease. J Hepatol 2016;65:618-30.
  11. Mathurin P, Moreno C, Samuel D, et al. Early liver transplantation for severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2011;365:1790-800.
  12. Consensus conference: Indications for Liver Transplantation, January 19 and 20, 2005, Lyon-Palais Des Congres: text of recommendations (long version). Liver Transpl 2006;12:998-1011.
  13. Im GY, Kim-Schluger L, Shenoy A, et al. Early Liver Transplantation for Severe Alcoholic Hepatitis in the United States–A Single-Center Experience. Am J Transplant 2016;16:841-9.
  14. Lee BP, Chen PH, Haugen C, et al. Three-year Results of a Pilot Program in Early Liver Transplantation for Severe Alcoholic Hepatitis. Ann Surg 2017;265:20-29.
  15. Lee BP, Mehta N, Platt L, et al. U.S. outcomes of early liver transplantation for alcoholic hepatitis: results from the American consortium of early liver transplantation for alcoholic hepatitis (ACCELERATE-AH). Transplantation 2017;101:15.
  16. Thursz MR, Richardson P, Allison M, et al. Prednisolone or pentoxifylline for alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2015;372:1619-28.
  17. Altamirano J, Lopez-Pelayo H, Michelena J, et al. Alcohol abstinence in patients surviving an episode of alcoholic hepatitis: Prediction and impact on long-term survival. Hepatology 2017.
  18. Louvet A, Labreuche J, Artru F, et al. Main drivers of outcome differ between short and long-term in severe alcoholic hepatitis: A prospective study. Hepatology 2017.
  19. Louvet A, Mathurin P. Alcoholic liver disease: mechanisms of injury and targeted treatment. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2015;12:231-42.
  20. Blanc JF, Boursier J, Chazouillères O, et al. L’avenir radieux de l’hépatologie! Première partie. Hépato-Gastro & oncologie Digestive 2017;24:569-78.